Archives de la catégorie ‘Photojournalistes citoyens’

Anouar Laabidi

Publié: 9 juin 2011 dans Photojournalistes citoyens

Etudiant en publicité graphique, 25 ans et j’habite à Tunis.

 

Je n’ai pris que 3 photos pendant la révolution parce que mon but n’était pas de prendre des photos à ce moment là mais c’était de participer à cette révolution. C’est par pur hasard que j’ai pris des photos pas pour les publier mais pour graver un moment sur un support. Je n’ai que 3 photos sur mon compte : la première c’était le 25 février quand ils ont lâché des gaz, une photo de soldat sur un char et une autre du peuple criant « dégage ». une avec un compact et les autres avec un téléphone portable.

 

 

Je suis sorti le premier jour de la révolution pour vivre le moment et non pas pour prendre des photos.

 

Il y avait beaucoup d’appareil photo mais ils ont été confisqués et aussi des téléphones portables avec lesquels ils filmaient. Ceux qui avaient des réflexes étaient des journalistes. Il y avait 2 français et l’un d’eux est mort le 14 janvier. Il y a des gens qui n’ont pas pris de photo parce que soit ils avaient peur pour eux ou pour leur appareil. Mais ces gens photographiaient pour publier sur facebook, twitter…

 

En ce qui concerne les journaux, je ne lisais que les choses où ils ne pouvaient pas mentir comme l’article scientifique.

 

La photo journalisme tunisien n’existe pas. Tu ne trouves que des photos de football, de ministres…

 

J’ai un compte facebook depuis 2008. C’est une rencontre et un échange artistique très constructif et c’est ce qui me plaisait.

 

Depuis le début de la révolution, j’ai partagé des vidéos sans avoir peur. A la fin décembre, les gens commençaient à s’organiser. Le point de départ était Bouazizi et ensuite, c’était une réaction sur ce qui se passaient en Tunisie.

 

C’étaient des photos d’amateur et non de professionnels. Même Al Jazira passaient des vidéos qui n’étaient pas bonnes sur le plan esthétique ou technique mais c’étaient ce qu’il y avait.

 

Le commencement était avec des citoyens qui avaient un moyen de prendre des photos. Il n’y avait pas de reporters professionnels.

 

Au départ, on ne montrait que des flics qui tapaient les citoyens. Le message était de faire passer les citoyens pour des martyrs.

 

Je suis plus témoin et acteur.

 

J’ai décidé se sortir sans être influencé le 14 janvier.

 

Les vidéos restent plus influentes parce que ce sont 25 images/seconde, il y a du son. Mais pour moi, la photo peut passer une impression plus qu’une vidéo.

 

Malgré les conditions, les citoyens sont sortis, ont photographié, publié… et ont donné une leçon aux autres peuples qui se sont soulevés par la suite.

 

Je pense que s’il y avait pas ces réseaux sociaux, la révolution aurait étouffé sur le territoire national et n’aurait pas atteint d’autres pays.

 

Bilel Gharbi

Publié: 9 juin 2011 dans Photojournalistes citoyens

Originaire de Sidi Bouzid. Je suis chômeur ; j’ai un compte facebook depuis un an et demi. Ils m’ont censuré mon compte (ammar 404) parce que j’avais publié beaucoup de vidéos. J’ai aussi un groupe qui s’appelle « bnet we ouled Sidi Bouzid » qui a été censuré à cause des vidéos. Même mon adresse ip est contrôlée. J’ai fait un autre compte. Rami et moi avons échangé beaucoup de vidéos. Mais personne n’a parlé de ce qui s’est passé, ni les journaux, ni les radios, ni la télé alors qu’il y avait des confrontations entre les citoyens et la sureté nationale. C’est ce qui nous a poussé à mettre ces vidéos et depuis le 17 décembre, c’est parvenu jusqu’à Al Jazira par l’intermédiaire d’un ami.

 

 

Personne n’a photographié Bouazizi mais la photo qui circulait (on sait que ce n’était pas lui) nous a fait comprendre qu’une personne privé de sa dignité peut tout faire.

 

La photo a rajouté 70% au texte pour les jeunes bougent. Elle crée un enthousiasme sans pareil au point de vouloir être le héros de cette photo. On avait peur certes mais on savait qu’on se battait pour une noble cause et même s’ils nous mettent en prison, ce n’est pas grave.

 

 

Les gens qui photographient à Sidi Bouzid sont connus parce que les autres ont peur des flics. Donc je partage les vidéos qu’ils mettent.

 

La première semaine, on était les seuls témoins de la révolution et on envoyait nos vidéos à Al Jazira. Les télévisons et les photographes étrangers sont venus la deuxième semaine.

 

La peur n’a complètement disparu que le 14 janvier. Mais le courage de vaincre la peur quand on a entendu que Bouazizi s’est immolé, on est tous parti au siège du gouvernorat. Les gens pleuraient en chantant l’hymne national. Le 17 décembre était un jour exceptionnel où tu pouvais insulter les flics sans qu’ils ne te répondent. Il y avait 5000 personnes à la Cité Ennour qui est la quartier de Bouazizi.

 

Les patelins voisins comme Menzel Bouzaiene ont entendu parler de ce qui s’est passé à travers facebook parce qu’on n’a rien passé à a télé.

 

Quand j’ai voulu photographier devant le siège du gouvernorat, le flic m’a pris mon téléphone et il me l’a rendu avec beaucoup d’insistance. Les flics contrôlent tout, ont la main sur tout et confisquent les téléphones.

 

La seule preuve de l’histoire c’est la photo et la vidéo.

 

On a plus fait de vidéos que de photos parce que je pense que les vidéos ont plus d’impact que la photo, c’est ce qu’on vit, c’est du concret. La photo par contre est fixe.

 

Quand ils ont coupé ma page internet, j’ai essayé d’utiliser Hot Spot pour ouvrir ma page et la 13 janvier, ma page n’était plus coupée.

 

Tout le monde est connecté même ceux qui n’ont pas d’ordinateur puisque l’heure dans un publinet coute un dinar. Toute la famille se réunit pour regarder les vidéos. Ma mère me dit toujours de faire attention. Je lui disais que même s’ils m’arrêtent, il y a tout un pays derrière.

 

 

La vidéo qui m’a le plus influencé c’est « bab el har » de notre ami Rami Issaoui.

 

Nos amis qui ont été arrêté ont été pour nous une raison de combattre.

 

Je n’ai même pas 10% e confiance en les médias tunisiens.

 

On ne connaît que la photo de Ben Ali et leila, pas les ministres…. On a jamais vu un ministre à la télévision entrain de discuter.

 

 

On défend une cause nationale.

 

Avec des moyens très simples, on fait tomber le plus grand état policier du monde. La vraie date de la révolution, c’est le 17 décembre et non pas le 14 janvier Comme un nouveau né, on l’inscrit le jour de sa naissance et non pas le jour de sa rentrée scolaire. Quand Sidi Bouzid bouge, l’état a peur.

 

Rami issaoui

Publié: 9 juin 2011 dans Photojournalistes citoyens

Rami issaoui, 22 ans, originaire de Sidi Bouzid. Je suis une des premières personnes à avoir filmé la révolution depuis le 17 décembre. On a voulu montrer au monde entier comment la révolution a commencé à Sidi Bouzid : des bagarres avec des cailloux…

 

J’ai un téléphone portable, un Iphone depuis très longtemps. Même avant la révolution, j’aimais filmer. C’est un réflexe de tous les jours.

 

Je lis les journaux mais que les pages sportives.

 

Avant la révolution, on a rien vu de la réalité. La Tunisie était d’un côté et l’information était de l’autre côté.

 

La première séquence que j’ai filmée, je l’ai mise sur Facebook et j’ai partagé avec mes amis même à Regueb ou Kasserine.

 

Quand vous avez vu d’autres séquences filmées à Sidi Bouzid, vous avez eu peur des flics ?

 

Au début, on avait peur parce que les séquences vidéo étaient contrôlées et on savait qui les postaient. Au bout de la troisième, je n’avais plus peur du tout.

 

Dans la foule, je regardais et je filmais. Le 2ème jour, j’ai mis 8 séquences vidéo sur facebook et mes amis les ont partagé.

 

Les vidéos ont eu un plus grand impact que les photos parce que c’est la réalité, il y a le mouvement et le son.

 

Avant il n’y avait d’information du tout. Maintenant, ça commence à bouger un peu. L’information doit être transparente. Il faut montrer les choses comme ils sont et la réalité comme elle se présente.

 

 

 

 

Ridha Abassi

Publié: 9 juin 2011 dans Photojournalistes citoyens

Ridha Abassi, instituteur, originaire du gouvernorat de Kasserine.

 

Comment avez vous vécu la révolution ? Avez vous pris des photos de la révolution ?

 

On a photographié des choses mais les plus grands reportages se sont fait après le 14 janvier. Les premiers jours, on a suivi les pages que les gars de Kasserine avaient envoyés, surtout le soir où je ne pouvais pas sortir parce que j’ai des enfants et c’était un peu loin pour moi. Le soir, c’était un peu codé. Je savais où se cachaient mes amis, où les flics siégeaient. Les pages avaient une connotation révolutionnaire au début. Il y avait une page où les admin vérifiaient au prix de leurs vies si il y avait vraiment des tirs de balles et nous le communiquait tout ce qui se passait par des phrases et des symboles (la police est à tel endroit, il y a eu un mort, les gars sont à tel endroit…).

 

Avant que ça n’atteigne Kasserine, vous avez vu les photos de Sidi Bouzid sur Facebook ?

 

Oui. C’était le déclic mais pas la raison qui nous a poussé à sortir dans la rue. La première révolte s’est passée à Feriana mais les gens n’en ont pas parlé. Après, elle a atteint Tala et après à Kasserine au moment de l’enterrement d’un citoyen qui s’est immolé et on ne l’a jamais cité. Depuis la mort de cette personne, on a senti que la révolution était arrivée.

 

Quelle est l’information fiable que vous aviez, Al Jazira ou Facebook ou autre ?

 

Facebook et téléphones. Comme les gars au café étaient de différentes cités, ça nous permettait de vérifier l’information entre nous. Ensuite, il y a eu France 24 avant Al Jazira parce que cette dernière n’avait pas de correspondant ici, c’était avec le téléphone avec l’un de nos amis qui leur donnait l’information ici. Par contre, France 24 et Al Arabia étaient là avant que le président parte, quand il a laissé es médias travailler soi disant. France 2 a présenté une très grande émission « Envoyé Spécial ».

 

Les médias en lesquels vous avez confiance sont étrangers. Avez confiance en les médias tunisiens (journaux, télévision, radio) ?

 

Non du tout. Ils n’ont jamais été honnêtes. Ils se cherchent encore aujourd’hui. Ils disent ce que le peuple veut entendre. Pourquoi ils ne parleraient pas de la justice ? parce que c’est un domaine très corrompu.

 

Vers le 10 janvier, il m’est arrivé une anecdote : un journaliste du journal « Essabah » est venu me demander des news de Kasserine et je lui ai raconté ce qui se passe. Il y a un gars à côté de moi qui m’a dit que le journal appartenait à Sakhr El Materi, le gendre du président. Je lui ai dit de ne pas mettre cet article. Il m’a dit que les choses ont changé. Effectivement, l’article a paru avant le 14 janvier.

 

Même après cette initiative, la confiance n’est pas restaurée ?

 

Si Ben Ali était resté, ce journaliste n’aurait jamais continué à venir ou à écrire ce qu’il a écrit. Jamais. Avant, il y avait un manque de confiance et maintenant il y a un manque de professionnalisme. Le journal télévisé diffuse ce qu’on voit sur Facebook.

 

Le journalisme citoyen qui remplace le journaliste est d’actualité même après la révolution ?

 

Le journalisme citoyen a continué mais c’est dommage que la plupart des pages tendent à servir un but précis. Pendant la révolution, chaque jour on leur fermait leurs pages et on sortait un nouveau lien et on devient 10 000 en 3 heures. Maintenant, je l’ai rayé parce que je sens qu’il sert une orientation particulière et il essaie de te convaincre parce que c’est le premier qui t’a donné l’information. J’ai enlevé Facebook.

 

As tu senti que Facebook a crée une union nationale ?

 

A l’époque, il a crée l’union mais maintenant, il est entrain de faire le contraire.

 

Qu’est ce qui vous a le plus influencé, la photo ou la vidéo ?

 

Les vidéos. On voyait la guerre dans les vidéos, de la fumée, un crâne éclaté…

 

Est ce que les photos ont moins de crédibilité ou est ce qu’elles expriment moins l’état de la révolution ?

 

Le problème c’est que les photos ne sont pas pris par des professionnels. On prend des photos mais elles ne sont pas fameuses.

 

L’impact de la photo professionnelle est plus fort que l’impact de la photo témoignage ?

 

C’est normal. Ça arrive qu’on prenne une belle photo, mais le chasseur de photos reste indéniablement celui qui sait de quel angle doit être prise la photo, comment elle est expressive…

 

Quelle image de la révolution qui vous a le plus marqué ?

 

Les vidéos à l’hôpital nous ont beaucoup marqué. Quand tu vois un anesthésiste faire un massage cardiaque et pleurer, tu ne peux pas l’oublier.

 

As tu un appareil photo ou un téléphone portable avec lequel tu prends des photos ?

 

Un appareil photo mais je n’ai jamais fait des photos à la maison. Maintenant, je suis comme les européens, mon appareil photo ne me quitte plus.

 

L’info et l’intox. A Kasserine, tous les jours il y a une nouvelle histoire. Des fois tu résouds un problème en présentant ta vidéo. Par exemple, il y a une rumeur qui dit que il y a des voitures sui distribuent de l’argent et qu’il y a des armes, je vais filmer et je mets ça sur facebook. Je montre comment il a été arrêté…

 

Tes amis sur facebook croient en l’authenticité de l’information que tu leur donnes ?

 

C’est sûr mais si on arrive à douter même quand une information est juste. Quand c’est toi même qui filme, il n’y a plus de problème.

 

As tu invité des gens qui n’avaient pas d’ordinateur à se joindre à toi pour regarder les photos et les vidéos ?

 

Non, mais ma sœur et ma mère viennent regarder ce qui se passe. Ma femme a ouvert un compte Facebook pour leur montrer les photos et vidéos quand je ne suis pas à la maison. Elles veulent maintenant des pc parce que ce n’est que le début.

 

Teyssir Ksouri

Publié: 8 juin 2011 dans Photojournalistes citoyens

Je suis chef d’entreprise dans le domaine des TIC. Vous avez fait appel à moi parce que j’ai photographié tout ce qui s’est déroulé et avant et après le 14 janvier 2011.

Est-ce que vous êtes photographe ?

Pas du tout. Je suis dans la création de sites web et solutions web. On fait appel à des professionnels dans mon métier. Pour moi, l’image compte énormément. C’est à partir d’un téléphone portable que j’immortalisais les scènes que je voyais. C’était justement pour les partager sur des réseaux sociaux ou pour montrer à ma famille qui n’a pas pu se déplacer dans les différentes manifestations.

Votre seul moyen de prendre des photos était votre téléphone portable…

Absolument.

Comment preniez-vous des photos avant d’avoir un téléphone portable (appareil photo, compact) ?

Occasionnellement. J’ai beau avoir des appareils photo mais je ne les ai pas tout le temps avec moi. Ça ne m’est pas venu dans la tête de prendre mon appareil photo avec moi dans les différentes manifestations.  Par contre, j’étais obligé d’avoir mon téléphone pour être en contact avec les gens et c’était une occasion pour prendre des photos.

Avez-vous postées sur Facebook les photos que vous avez prises ?

Absolument. D’ailleurs, je postais en temps réel. J’ai internet sur mon téléphone et j’essaie d’en tenir mes amis au courant des différentes manifestations surtout sur Facebook. En même temps, j’essayai de tranquilliser ma femme qui est tout le temps connecté et qui s’inquiète énormément pour moi en lui montrant des photos en temps réel.

A quel moment exactement avez-vous commencé à prendre des photos?

Depuis qu’il y a un appareil photo dans mon téléphone, j’ai commencé à prendre des photos. En ce qui concerne la révolution tunisienne, j’ai commencé à prendre mes premières photos à la fin du mois de décembre, quand ça touchait un peu Tunis. Je n’avais pas la possibilité de me déplacer. Ça a commencé dans le sud-ouest tunisien les gens commençaient à partager tout ça. Quand les premières manifestations ont commencé à Tunis, j’étais dans ces manifestations jusqu’au 14. Après, j’ai continué à filmer parce que la révolution tunisienne a une petite particularité : ce ne s’est pas terminé avec le départ du dictateur. Il y a eu plusieurs manifestations post-départ de Ben Ali que j’ai filmé aussi.

Quand vous regardez ces photos que les autres postaient sur Facebook, vous sentiez vous impliqué et acteur dans ces situations ou simple spectateur comme si vous lisiez un journal international ?

En vérité, je parle d’un cas personnel qui apparemment est le cas de beaucoup de gens autour de moi : on s’est fait acteur parce qu’ils avaient des images réelles à l’instant zéro. Au départ, je me sentais beaucoup plus spectateur, à la limite j’enviais les personnes qui avaient un peu d’adrénaline parce qu’ils étaient là-bas. Ensuite, quand les photos et les vidéos étaient vraiment réelles (le flic tirait sur le manifestant qui tombait en direct), c’est là où je me suis senti un peu acteur. La vérité, quand je suis descendu dans la rue et que je rentrais le soir pour regarder les vidéos des autres villes, là je me suis senti vraiment acteur, plus concerné.

Qu’est ce qui a déclenché que vous quittiez votre ordinateur et que vous alliez sur le terrain ?

C’est peut être ces photos-là que les gens partageaient. Le problème de cette révolution tunisienne c’est qu’elle n’avait pas de chef de file et n’avait pas d’idée précise, c’est à dire que les gens se révoltaient soi-disant pour la dignité. Mais qu’est-ce que la dignité ? Pour certains, c’est la dignité de travailler, pour d’autres c’est d’exister et de critiquer. Ce sont les photos et les vidéos partagées qui nous ont un peu poussées à se retrouver dans cette révolution au départ. A la limite, par égoïsme, les habitants de Tunis n’ont pas été très touchés par les problèmes de chômage, d’ennui, de sortie. On occulta en quelque sorte ce qui se passait dans le sud. Ce sont ces images-là qui nous ont donné une claque pour se réveiller et qui nous ont expliqué que même si on a toutes les commodités sur la région de Tunis, on n’est pas libre de dire ce qu’il faut, ce dont on a envie.

Est-ce que vous lisez la presse en Tunisie avant le 14 janvier ?

Oui, j’achetais tous les jours le journal pour lire les 2 dernières pages parce que je suis un fan de sport. C’était la seule information intéressante au niveau de la Tunisie.

Ce que vous lisiez reflétait-il la réalité que vous viviez ?

Il reflétait le fan de football que j’étais, mais pas ma personne, le citoyen que j’étais.

Vous aviez accès à différents contenus sur internet, des photos, des photos légendés avec du texte, du texte et de la vidéo. Qu’est-ce qui vous a le plus influencé ?

Ce qui m’a le plus influencé c’était l’écrit, le texte parce que le problème qu’on avait, c’était un malaise mitigé à de la peur. Et la peur, c’était aussi la peur de partager et de dire des choses qui dérangeaient le régime. Pour un père de famille comme moi, j’avais peur d’être le premier à le faire. Avant même les photos, ce sont les écrits qui nous ont poussés à sortir et à réveiller le révolutionnaire qui dormait en nous. Il y avait le chef de file Abdelaziz Belkhodja qui a commencé à écrire des propos contre le régime. En premier, c’étaient les écrits qui m’ont le plus influencé, mais les photos et les vidéos sont venues les confirmer. Il y avait le texte, le commentaire et la vidéo ou la photo à l’appui.

Quand vous postiez vos photos, est ce que vous les signez ?

Ça se fait automatiquement sur Facebook quand ça part de mon profil.

Est-ce que tu partageais des photos qui n’étaient pas signés ?

J’évitais de le faire parce que je ne suis pas sûr de la source et je n’ai pas envie de manquer de crédibilité envers mes amis. Dès le début de la révolution, j’ai acquis une certaine crédibilité dans le sens où je ne partage qu’une information vraie. Il y a eu des montages de photos et même des photos prises dans d’autres pays (une dame battue dans un poste de police dans une prison iranienne). Je ne partageais que les photos signées par des gens que je connaissais ou qui avaient de la crédibilité sur le net.

Il y a eu une sorte de campagne de désinformation sur le net, une guerre entre le vrai, l’authentique et le faux, des jeux de manipulations … ?

Il n’a pas eu que de la manipulation. La manipulation est venue avant le 14 janvier et elle venait du régime. Le tort c’est que le régime n’a pas utilisé les vidéos et Facebook pour contrecarrer cet élan révolutionnaire. Il aurait pu le faire. Par contre, les contre-vérités venaient d’on ne sait où. C’était ou bien des révolutionnaires extrémistes qui voulaient pousser le bouchon à fond vers des violences. Ça ne venait pas du régime et d’ailleurs, ça m’a étonné. Pourtant, le régime reposait sur un grand parti, très puissant, très informatisé. Je me suis dit que la réplique allait venir sur le net. Ils ont occulté ça et en fin de compte, c’est le net qui a eu gain de cause.

Vous m’avez parlé d’autocensure. En tant que père de famille, vous vivez dans ce climat de peur, de répression permanente. Quel était votre premier sentiment social pour dépasser cette autocensure ?

C’est la première fois de ma vie que je me sens un peu héros. Je me sens aujourd’hui utile vis à vis de la communauté. Je sens que j’ai participé à cette révolution et ça me fait plaisir. C’est ce sentiment d’implication qui me pousse à publier encore des photos parce qu’aujourd’hui, à 3 mois de la révolution, je ne suis plus d’accord avec ce qui se passe. Il y a des aberrations.

Est-ce que vous avez vécu la censure sur internet ?

C’est clair que j’ai vécu la censure parce que je travaille avec. Dans notre métier de création de sites web, le référencement représente quelque chose de très important dans la vie d’un site web et le meilleur moyen de référencer un site aujourd’hui c’est de placer des vidéos dans des sites comme « You tube » ou « Daily motion »… Tout ça est coupé en Tunisie et par conséquent, ça m’empêchait carrément de bien travailler. Ça a dépassé la violation de la liberté d’expression et c’est devenu une violation de la liberté de gagner sa vie. Il a fallu contourner tout ça parce qu’il fallait qu’on trouve des solutions. La bêtise de la dictature qui existait c’est qu’ils coupaient des sites et tout le monde dans la rue parlait de Proxy et l’utilisait. Tout le monde regardait. Je ne vois pas la nécessité de faire cette censure, toutes ces coupures.

Ce jeu du chat et de la souris entre vous et l’organisme de la censure non déclarée, était-il partagé par beaucoup de tunisiens ?

Absolument oui. J’étais même fournisseur de Proxy. Les gens m’appelaient pour savoir comment faire pour contourner comme on est dans le domaine. J’ai même rencontré en ce temps-là des gens qui travaillaient dans la police politique chargés d’exécuter cette censure pour leur dire que c’était ridicule parce qu’on était en train de les contourner. Ils m’ont dit oui mais c’est les autres. On sait que vous regardez tout et que de toutes les façons, il n’y a aucun moyen de museler internet si ce n’est de le couper complètement comme ce qui s’est passé en Egypte et en Libye au début de la révolution. Le seul moyen c’est de couper internet et encore. En Egypte et en Libye, Google a trouvé l’astuce….

Est-ce que le fait d’avoir cette censure et cette répression continues vous a isolé de la société dans laquelle vous viviez ?

Non, ça ne m’a pas isolé. Au contraire, je crois que cette censure est partie chercher le génie qui existait dans chaque internaute tunisien. Par exemple, Facebook a immergé en Tunisie fin 2005 et j’étais parmi les premiers à avoir un compte. On était 1500 personnes, c’était epsilon par rapport à la population tunisienne. Au bout d’une année, on commençait à parler librement sachant qu’on pouvait choisir nos amis et ce serait impossible qu’on soit épié sur Facebook sauf qu’on l’a fait. La décision était de fermer Facebook. Des voix se sont élevées parce que Facebook était utilisé par une classe un peu élitiste qui était proche du pouvoir. Il y a eu une petite pression. Même la fille du président est allée voir son père pour lui dire que ce n’était pas normal. Le ridicule du régime prônait qu’il n’y avait jamais de censure, ensuite il déclare à la une de tous les journaux que le président de la république a décidé de rouvrir le site Facebook. Il avoue qu’il y a eu censure et le président l’a enlevé. Cela a fait une publicité incroyable à ce site et on est passé au bout d’une année parmi les premières nations qui utilise Facebook proportionnellement au nombre d’internautes. On est arrivé à 2 million sur une population active de 7 millions ce qui équivaut à 30 millions de connectés en France. A chaque fois qu’on coupait un site, les gens s’y intéressaient encore plus et le fait d’essayer de le contourner, c’était comme si on défiait pacifiquement le régime et les forces d’opposition non autorisées utilisaient ça pour nous faire parvenir des messages. La censure a uni les forces d’opposition et même les gens qui s’en foutaient et qui suivaient le régime ont été sensibilisé grâce à Facebook.

Vous vivez dans une sorte de réalité parallèle dans laquelle vous vous échappiez en quelque sorte, vous aviez les moyens de contourner cette censure…

Absolument. C’était une façon de montrer notre force. L’ancien gouvernement dépensait des sommes énormes pour censurer le site alors que moi, le petit chef d’entreprise, je pouvais tout contourner sans qu’on ne m’arrête.

Vous sentiez vous dans l’illégalité quand vous faisiez ça ?

Oui. C’est une façon d’échapper à notre autocensure. On communiquait dans l’illégalité et on avait peur. On le faisait discrètement mais c’était un bon coup d’adrénaline et une petite fierté interne.

Est-ce que vous postiez des vidéos aussi ? Quel rapport entre l’authenticité des photos et celle des vidéos ? Vous disiez que les photos étaient facilement trucables, vous semblez accorder plus d’authenticité aux vidéos…

Oui. On retouche plus facilement une photo qu’une vidéo déjà. En plus, c’est plus réel quand on voit une scène d’une minute se passer devant nous. En photographiant la même scène, on peut rater plein de moments à côté. Pour moi, la photo est un peu dangereuse parce que suivant l’angle choisi, on peut orienter les gens vers une certaine réflexion.

La photo ne dit pas tout, par contre la vidéo dit tout…

Si elle est bien prise. Comme ça se passait au niveau amateur, on pouvait facilement orienter l’objectif de l’appareil photo là où on voulait. Par contre pour la vidéo, les gens ne sont pas assez professionnels pour vous embraquer sur leurs propres avis.

C’est vraiment une révolution numérique avec toutes ses composantes : photos, vidéos, messages, textes… Le monde entier aujourd’hui retient l’histoire du type qui s’est immolé et qui a créé cette révolution. Deux ans auparavant, il y a eu le même épisode, un autre type s’est immolé sauf que les gens n’étaient pas encore prêts à faire le relais sur internet et les appareils photos sur les téléphones n’étaient pas très répandus. Il y a juste eu une petite révolte très locale à Monastir. Personne n’a entendu parler de ça et ça a été très vite contenu. C ‘est internet qui a tout révolutionné.

J’ai 50 ans et je suis père de 2 filles. Je me considère comme un homme de la photo et non pas un photographe. Je fais du commissariat d’exposition, de la critique, j’enseigne la photo, j’anime des ateliers surtout pour les enfants. Je ne suis pas le photographe qui est toujours avec son sac et qui parcourt le monde à la recherche d’un « scoop », ni le photographe qui a un studio, bardé de diplômes et qui est pointilleux sur la technique. Pour parodier un roman, je connais presque tout sur presque rien de la photo.

Vous êtes un touche-à-tout de la photo ?

Exactement. C’est un mot qui peut paraître dévalorisant alors que non. Quand on écrit un texte critique sur une exposition, on peut être docteur en littérature mais ne pas connaître la différence entre un 250ème de seconde et un 1000 ème de seconde. Ça change tout. Il vaut mieux savoir écrire en français, connaître la technique photographique, les artistes, les gens, l’histoire de la photo…l’ensemble de ces petites choses qui concernent la photo est très utile quand on fait de la photo ou quand on enseigne et on fait des textes critiques. Nous sommes peut-être dans un mouvement régressif. Avant, c’était la course vers la spécialité : celui qui fait de la macro ne fait que de la macro, celui qui fait les mannequins ne fait pas les flacons de parfums… Aujourd’hui, je crois qu’on est en train de faire machine arrière. Il faut que le photographe ait une connaissance générale sur toute la photo, quitte à avoir un pavillon particulier spécialisé dans ses connaissances.

Depuis combien de temps faites-vous de la photo ??

Je fais de la photo depuis l’âge de 20 ans. Il y a 3 ans, j’ai écrit un texte « Qu’est-ce que avez-vous fait de vos 20 ans ? » parce que la passion que vous avez à 20 ans, elle demeure là après 30 ans (j’ai 50 ans aujourd’hui). Ça c’est une bonne réponse à « Est ce que j’aime la photo ? Est-ce une passion ? Il y a énormément de personnes qui commencent une passion à l’âge de 18 ans mais qui ne continuent pas. C’est pour cela que la question « Quand avez-vous commencé la photo ? » n’est pas aussi utile que « Pourquoi vous faites encore de la photo? »

Vous n’avez pas perdu votre côté amateur, en étant quand même un professionnel de la photo…

J’estime qu’un amateur de cuisine ou de musique est quelqu’un dont personne ne lui a dit de faire ça. Il n’y a pas de commande, pas d’employeur. Parfois, j’ai des ennuis, je suis malheureux ou heureux, je prends mon appareil photo, c’est une catharsis, c’est une manière de montrer que je suis joyeux ou de diluer ma colère. Quand on est professionnel, il faut faire son métier indépendamment de ses sauts d’humeur, de son caractère, de ce qui se passe tandis que l’amateur non. Je ne peux pas répondre comment je fais de la photo, c’est une partie de moi.

Une partie de vos émotions passe dans vos photos. Comment avez-vous vécu la photo de la révolution tunisienne ?

Il y a toujours des raisons profondes et des raisons apparentes. J’ai fait 20 ans de photographie argentique : prise de vue, développement, tirage. J’ai travaillé pendant 20 ans au service photo du ministère de la culture avec Monsieur Ridha Dziri qui vient de décéder. Pendant les weekends, j’animai un club photo. Donc, ma vie était faite de photo. Il fallait la photo-passion pour me reposer de la photo –travail. Puis, je suis devenu graphiste et je n’ai plus fait de photos. Au passage de l’argentique au numérique, je n’étais pas fonctionnel, je n’étais pas photographe. Quand j’ai acheté un appareil numérique modeste, j’ai repris goût à la photo après une période (qui a duré 8 ans) où je n’ai pas fait de photos du tout. Mais entre-temps, j’étais vice-président des « Rencontres Internationales de Ghar el Melh » et j’animai des workshops. On faisait de la lecture de Portfolio et je faisais une photo pour Ghar el Melh que j’exposai. Quand j’ai acheté l’appareil photo, depuis août 2009 à décembre 2010 j’ai photographié Tunis, Djerba, Kélibia, Sousse, Kairouan, Bizerte, parfois en solitaire, d’autres fois avec les membres du club photo de Tunis. Je n’ai pas arrêté de photographier sauf la première semaine du mois de janvier parce que c’est devenu extrêmement difficile de tirer son appareil photo de son sac. Je n’ai repris mon appareil photo que le 12 janvier parcimonieusement, en cachette pour photographier les gens en train de faire les queues devant les boulangeries mais je n’ai pas pu photographier les manifestations à Tunis parce que je ne suis pas photographe professionnel. En plus, je n’ai ni l’expérience, ni le courage et l’audace de prendre un appareil photo en ayant un policier en face au risque d’être matraqué ou gazé. Le 14 janvier, j’avais eu une chance inouïe puisque j’ai pu monter en haut d’un immeuble pour photographier les gens en bas ce qui a fait un malheur sur Facebook parce que tout le monde s’est senti en péril, en danger. Sur une photo, il y avait une petite fille qui était en face d’un soldat qui la rassurait parce que l’armée a toujours été républicaine et n’a jamais tiré sur les gens. Il n’y avait plus confiance en les policiers et la constitution. Le président est parti, la seule référence possible était l’armée. Cette photo a été partagée par des centaines de milliers de personnes et beaucoup d’entre eux l’ont mis comme photo de profil parce qu’ils s’identifiaient à cette jeune fille.

Vous n’êtes pas né avec la génération Facebook. Quelle est votre approche de Facebook, de ce partage, de cette envie de communiquer ? Pour quelles raisons avez-vous publié ?

Depuis 2009, je publie des albums presque une fois par semaine. J’ai écrit sur mon blog un texte à propos de Facebook. « Pourquoi ce réseau est-il si important en Tunisie ? ». C’est parce qu’i y a avait des concepts qui existaient avant mais qui n’existent plus et Facebook a pris le dessus. Le premier exemple c’est « Ouled el Houma », les enfants du quartier qui ont leur emplacement particulier. Ils s’assoient, fument, se racontent les ragouts du quartier….c’est ce qui existe sur Facebook maintenant. Plus jeunes, on avait un cahier de souvenirs qu’on se passait à la fin de l’année scolaire. Les garçons collaient des voitures et des équipes de football et les filles collaient des fleurs, des chanteuses et on s’écrivait des petits mots. Le cahier passait par tous les copains et chacun écrivait un mot pour qu’on se rappelle de lui pendant l’été. Facebook, c’est les ragouts du quartier, c’est « je te montre mes photos avec ma nouvelle coiffure, mon voyage à Paris… ». Il y a un manque de communication. En plus, les tunisiens ont totalement déserté les moyens de communication avant le 14 janvier. Ils ne regardaient plus la télévision, ne lisaient plus les journaux sauf pour voir les résultats sportifs. C’était ce qui manquait à la télé et dans les journaux.

D’après vous, les gens ne se reconnaissaient plus dans les moyens d’information actuels…

A l’époque oui, aujourd’hui c’est encore instable. On ne sait pas ce que pensent les tunisiens des chaines de télévision, des journaux, parce que la liberté ce n’est pas l’anarchie et la démocratie a ses lois. Mais l’instabilité est un passage obligé après une révolution.

Vous vous définissez comme un grand amateur. Pendant la révolution, quand vous avez fait des photos, vous sentiez vous plus acteur ou spectateur?

C’est une magnifique question. Je suis spectateur pendant les photos. Je n’essaie jamais de changer le cours des choses, de demander aux gens de tenir droit le drapeau national ou de me regarder en face. Donc, je suis spectateur. Par contre, quand je publie ces photos sur Facebook et les gens ont connaissance de ce qui se passe, je suis acteur puisque je peux changer le cours des choses. Quand je fais un album des casseurs qui ont tout saccagé et le titre c’est « La guerre du feu », c’est à dire que je suis complètement contre cela. La légende, le texte, le moment de publication peuvent changer le cours des choses. Quand je sens que les gens sont déçus, je republie l’album de la révolution tunisienne et dans ce cas ils écrivent « souvenirs mémorables, photos historiques ». C’est une manière de pousser les gens à continuer le combat. Au moment de la prise de vue, je suis spectateur mais, au moment de la publication, c’est comme si j’avais une pancarte et que j’étais dans la rue.

On a parlé du sens formel, du moment où vous êtes photographe, quand vous êtes sur Facebook. Maintenant, si on parlait du côté émotionnel. Quand vous êtes dans le moment, est ce que vous sentez vous spectateur ou acteur ?

Emotionnellement, je ne suis ni l’un ni l’autre. J’ai envie de crier « Vive la Tunisie » mais je ne l’ai jamais fait. J’ai envie de mettre mon appareil photo dans le sac et de consoler un réfugié qui pleure parce qu’il a tout laissé en Libye. Imaginez un médecin qui pleure alors qu’il fait une opération à cœur ouvert. On ne doit pas être émotif. On doit mettre toute son émotion dans ce qu’on est en train de faire et il ne faut pas la dégager. C’est pour ça que je n’ai pas pu continuer indéfiniment ce que j’étais en train de faire parce qu’à force de contenir son émotion, on ne peut plus rien faire. Quand les photographes professionnels sont pendant dix jours à Ras Jedir, on les rappelle à Paris pour qu’ils se reposent avant de les renvoyer en Libye. C’est insoutenable. On ne peut pas photographier les gens dans la misère comme si on photographiait un paysage ou une porte à Sidi Bousaid.

Avez-vous toujours signé vos photos quand vous les avez publiées sur Facebook? 

Je ne les signe pas sur la photo mais en bas. Il y a une légende ou il y a un titre de la photo, un lieu, une date et mon nom.

Et si quelqu’un partage cette photo ?

Il va la partager avec sa légende. Si on l’utilise électroniquement, ce n’est pas grave, mais si c’est publié dans un livre, dans ce cas, il faut appliquer les droits d’auteur.

Cette approche citoyenne de la photo non signée, de la photo sans nom que tout le monde partage, trouvez-vous que c’est une bonne idée ? Est-ce que c’est représentatif de la catégorie qui a photographié la révolution ou pas ?

Je trouve que ce n’est pas une raison consciente. Ça a été fait au départ parce que les gens risquaient des problèmes si ils mettaient leurs noms. Les photos qui n’ont pas de nom perdent leurs traçabilités. Le fait de mettre son nom, ce n’est pas une question de vanité personnelle, c’est assumer pleinement le contenu de la photo. Dans les deux sens, le fait de ne pas mettre leurs noms est une peur de la police politique qui a cherché au départ les diffuseurs des premières photos de Kasserine où il y avait des morts tués par balles. Alors celui qui a filmé ça avec son téléphone ou avec un compact va avoir des problèmes.

Parlez-nous de la censure et de l’autocensure que vous avez peut-être vécue sous l’ère Ben Ali ?

J’ai été arrêté devant le ministère de l’intérieur bien avant le 14 janvier et à côté du palais de Carthage aussi. On m’a posé quelques questions puis on m’a lâché. Avec le club photo, on m’a arrêté parce que je photographiais des gens qui étaient sur un tapis à côté de « Jemâa Ezzitouna » l’année dernière. Il y a une paranoïa générale à cause des appareils photos.

Je ne me suis jamais autocensuré mais on évite d’avoir des problèmes.

Vous avez initié le club photos Tunis. Comment avez-vous senti la réaction des membres à la révolution par rapport à leur appareil photo, par rapport à leur approche de la photo ?

Il fallait leur demander de descendre, faire leur mission de citoyen  et de photographier. On a trouvé que c’était une situation très dangereuse parce qu’ils risquaient d’avoir des problèmes. C’est le staff du club qui en est responsable. Amine et moi sommes sortis dans la rue. Nous avons été gazés. J’ai été matraqué et j’ai failli être tué par une grenade de gaz lacrymogène. On n’a pas voulu donner des consignes pour qu’ils descendent dans la rue. Certains l’ont fait en assumant complètement. C’est pour ça qu’il y a eu cette exposition où il y a eu vingt membres du club et heureusement, ils n’ont pas eu de soucis.

Pourquoi ce titre de l’exposition?

Comme tous les titres, il faut que ce soit bizarre ou que ça sonne extra, sinon ça passe inaperçu. Moi je me trouvai plus témoin que photographe en jouant sur les signes de ponctuation, d’arithmétique. Quand on a un appareil photo dans ce genre de situation, on est plus témoin que photographe. Le photographe doit avoir d’autres prérogatives, des contraintes d’agences, de bouclage de magazines. Par contre, le témoin s’en fout indépendamment des canaux de diffusion. Donc, ils sont beaucoup plus témoins que photographes. La quasi-totalité des photographes ont lâché le morceau avec le déclenchement de la révolution égyptienne. Même les photographes professionnels tunisiens ne sont plus descendus dans la rue. Ils ont suivi le premier ministre, Hilary Clinton et les grandes personnalités politiques qui sont venus. La rue a été abandonnée aux photographes amateurs beaucoup plus témoins de l’histoire dans ce cas de figure que les photographes.